PATRICK BERNASCONI, PRESIDENT DE LA FNTP : Une reprise aux fondations fragiles

CONFÉRENCE DE PRESSE DU 21 MARS 2011

Une reprise aux fondations fragiles

2010 s’est achevée sur un chiffre d’affaires annuel de 38,7 milliards d’euros, en recul de 1,4% en valeur par rapport à 2009. La fin de l’année a été marquée par des conditions climatiques difficiles, qui ont perturbé de nombreux chantiers. Les heures chômées pour cause d’intempéries ont été cinq fois plus élevées que la « normale » pour un mois de décembre.

Les premiers chiffres de l’année 2011 indiquent une tendance favorable :


o  Les facturations émises par les entreprises de Travaux Publics en janvier sont supérieures à celles des deux dernières années : +10,3% par rapport à janvier 2010 et +4,6% par rapport à janvier 2009.

o Les heures travaillées totales (CDI et emplois temporaires) sont en hausse de 19% à un an d’écart. En cumul sur les douze derniers mois, elles se stabilisent, grâce notamment au rebond du travail intérimaire (+9,2% sur les douze derniers mois).

o Janvier 2011 a également été un bon mois en termes de marchés conclus, qui se situent à un niveau presque 20% supérieur à celui de janvier 2010.

o L’indicateur relatif au nombre de lots TP dans les appels d’offres enregistre une hausse de 26% sur les deux premiers mois de l’’année par rapport à la même période de 2010. La commande publique est soutenue par les communes et leurs groupements (34% du chiffre d’affaires des TP).

o L’investissement du secteur privé redémarre également. La dynamique du logement neuf est favorable aux travaux de VRD. Le nombre de logements mis en chantier atteint, fin janvier, 355 000 sur les douze derniers mois, soit une hausse de 6,4% par rapport à la même période de l’année précédente.

o Autre indicateur positif : la production de matériaux de construction, comme celle du Béton Prêt à l’Emploi (30% de la clientèle en Travaux Publics) : +34% en janvier à un an d’intervalle.
L’évolution est similaire pour le ciment.

Face à ces chiffres favorable, l’optimisme des entreprises reste des plus mesurés car la reprise a des bases fragiles.

Janvier 2011 paraît exceptionnellement haut pour deux raisons :
o Il se compare à janvier 2010 qui s’était caractérisé par de fortes intempéries,
o Tandis qu’il bénéficie d’un effet rattrapage d’activité par rapport à décembre 2010, pénalisé par la neige.
Mais les conditions économiques pour une reprise franche ne sont pas réunies.
o Les chiffres globaux masquent des écarts importants entre les territoires urbains et ruraux, et selon les métiers. Ces écarts s’expliquent notamment par l’inégalité des collectivités locales face à l’évolution de leurs recettes et de leurs dépenses. Ainsi les droits de mutation, qui constituent une recette importante des départements : la hausse moyenne est élevée, près de 36% sur les 12 derniers mois mais elle profite dans une bien moindre mesure aux départements ruraux.
o Les départements ruraux subissent aussi une hausse proportionnellement plus forte des dépenses sociales : ce sont les Deux Sèvres, les Alpes‐de‐Haute‐Provence, les Hautes Alpes et la Lozère qui enregistrent les plus fortes progressions du nombre d’allocataires du RSA, RMI et API au quatrième trimestre 2010 comparé au quatrième trimestre 2009.
o Cette situation financière dégradée de certains départements aura un impact non seulement sur les investissements qu’ils réalisent directement mais aussi sur les subventions d’équipement qu’ils versent aux communes et aux intercommunalités. Sur les 24 départements pour lesquels nous disposons des budgets primitifs 2011, une diminution de 17% des investissements dans les infrastructures est anticipée ainsi qu’une baisse de 10% des subventions.
o La hausse des matières premières pénalise les entreprises de Travaux Publics. Le prix du baril de pétrole a atteint 103,5 $ en février, soit une hausse de 40,6% sur les douze derniers mois. Cette hausse se répercute sur les coûts. L’index TP01 (qui mesure l’évolution des coûts –personnel et fournitures‐ dans les Travaux Publics) a progressé ainsi de 5,3% au mois de janvier comparé à janvier 2010.
o Or, dans un contexte de relations dégradées entre les entreprises et les acheteurs publics, cette hausse des matières premières va accroître la fragilité des entreprises :
o En effet, quelle que soit la durée du marché, les prix ne sont pas systématiquement révisables et les entreprises sont soumises à la bonne volonté de leurs donneurs d’ordre. J’ai écrit à Mme Lagarde pour lui demander de rendre systématiquement révisables les prix de nos marchés, quelle que soit leur durée d’exécution, d’imposer le recours à des formules adaptées à la nature des travaux et surtout de supprimer la partie fixe afin que la totalité du marché soit révisable.

o Les entreprises continuent, de plus, à faire face à la réduction des délais de paiement de leurs fournisseurs sans réelle réciprocité chez leurs clients publics qui pratiquent toujours les délais cachés.
o Quant au dévoiement des règles des marchés publics, il est constaté par nombre d’entreprises : études non rémunérées, enchères inversées, dossiers techniques immatures, pillage d’idées, exigences en matière de développement durable non rétribuées…
La fragilité des entreprises est une réalité : n’oublions qu’à fin 2009, 20% des entreprises de TravauxPublics avaient publié des résultats négatifs (contre 4,8% en 2007 – source BTP Banque auprès d’un échantillon de 634 entreprises, représentant 4 MD€ de chiffre d’affaires).
La sortie de crise, espérée en 2011 pour les entreprises de Travaux Publics sera directement fonction de la visibilité dont elles disposeront et de l’amélioration des conditions d’exercice du marché.

Schéma national des infrastructures de transport : il faut aller vers plus de réalisme et de pragmatisme

Le Schéma National des Infrastructures de Transport (SNIT) a le grand mérite de montrer combien les besoins de la France en infrastructures sont réels et variés. Le lancement des grands projets type LGV SEA ou Bretagne‐Pays de Loire traduit dans l’action ces besoins et leur réalisation est de nature à soutenir l’activité des entreprises.
Plus généralement, le SNIT est un outil de mise en oeuvre du Grenelle de l’environnement. Il fixe les grandes orientations de l’Etat en matière d’infrastructures. Il porte sur 60 mesures dont la réalisation paraît souhaitable à un horizon de 20‐30 ans :
• 28 projets ferroviaires ;
• 10 projets portuaires ;
• 3 projets de voies d’eau à grand gabarit ;
• 28 projets routiers dont :
• 10 projets déjà déclarés d’utilité publique ;
• 18 projets non déclarés d’utilité publique.
A côté du développement des infrastructures, le SNIT retient comme priorité la modernisation et l’optimisation des infrastructures existantes, en privilégiant les modes alternatifs à la route.
La première version, présentée en juillet 2010, portait sur une enveloppe de 166 Md€ d’investissements de développement, à 62% pour des infrastructures ferroviaires et à seulement 4% pour des routes. Avec la seconde version parue fin janvier 2011, les travaux à engager atteindraient 260,5 Md€, soit 94,5 Md€ de plus, liés à la prise en compte d’investissements de modernisation et de régénération des infrastructures. Les infrastructures ferroviaires arrivent toujours en tête avec 56% de ce montant, suivies par les transports collectifs urbains, 18%, et la route 15%.

Le financement du SNIT devrait être porté à 33% par l’Etat, 37% par les collectivités territoriales et 30% par d’autres contributeurs, notamment RFF, VNF et des acteurs privés (PPP).
Il est hélas facile de pointer les lacunes du SNIT :
o Il n’est pas financé : il sous‐entend que l’Etat investisse en moyenne 3,4 MD€ par an, il n’en fera en 2011 qu’au mieux 2,2 MD€. De plus, l’annulation de l’appel d’offres concernant l’opérateur de l’écotaxe poids lourds va décaler dans le temps la mise à disposition de nouvelles ressources. Il fait des collectivités locales les premiers financeurs, ce qui pose question :
o L’Etat peut‐il déléguer le financement et garder entièrement la main sur les choix stratégiques : les difficultés que connaît le bouclage du financement de la LGV SEA montrent qu’il s’agira d’un exercice difficile.
o Il méconnaît les réalités : en matière routière, le SNIT prévoit un budget pour régénérer les chaussées correspondant à 10 km par an, soit 250 km sur 25 ans à rapporter aux 10 000 km de routes dont l’Etat a la responsabilité. Le maintien de bonnes conditions de circulation imposerait de rénover près de 400 kms par an.
o Il anticipe l’abandon de projets : en précisant d’ores et déjà que seulement 70% à 80% du SNIT pourra être engagé compte tenu de l’état des finances publiques.
o Il n’offre pas de vision d’aménagement du territoire, se limitant à une mise en oeuvre du Grenelle de l’environnement.
o Il serait souhaitable que ce document stratégique accorde toute sa place à la notion de désenclavement, surtout lorsqu’il n’existe pas de desserte alternative à la route dans certaines régions.
o Les projets de développement portuaire et d’interconnexion avec le réseau fluvial manquent d’ambition pour relancer le fret ferroviaire. Les projets portuaires stricto sensu ne représentent que 2,7 milliards d’euros, soit 1% des dépenses. Compte tenu de l’importance cruciale des ports pour le transfert modal des marchandises, il paraît peu probable que ce schéma insuffle à ces ports, régulièrement bloqués par des grèves, et manquant d’hinterland, la dynamique nécessaire pour rattraper, voire dépasser les ports de l’Europe du Nord.
o Les priorités affichées ne se traduisent pas en matière de programmation.

Il faut espérer que le débat « sans vote » prévu, avant l’été, à l’Assemblée nationale et au Sénat permette de mettre en évidence ces difficultés et de faire évoluer favorablement le projet.

Etats Généraux des Travaux Publics : les raisons de la crise, les pistes pour en sortir.

Depuis le début de l’année, j’ai rencontré 500 entrepreneurs dans l’ensemble des régions françaises pour débattre en petits groupes de leur diagnostic sur la crise et des pistes sur lesquels ils souhaitent que la Fédération travaille.
Dans les Travaux Publics, la baisse des prix a été l’effet majeur de la crise de 2008‐2010. Avec cette baisse, à des degrés divers selon les métiers, c’est la compétitivité des entreprises qui a été mise à mal. Or, nous ne sommes plus dans les années 90 où la présence d’une maîtrise d’oeuvre publique, compétente et respectée, jouait un rôle de régulateur, de stabilisateur.
J’ai retiré des débats organisés en région quelques idées‐forces.
Je pense tout d’abord que la Fédération doit mener le combat sur le terrain juridique pour combattre les dévoiements de procédures et dénoncer l’illégalité des pratiques d’enchères inversées.
Mais nous ne pouvons nous en tenir là, en occultant les enjeux liés à l’organisation même de la commande publique, qui a été fortement impactée dans la période récente par le retrait de la maîtrise d’oeuvre publique, actée pour fin 2011. La Fédération entend accroître son dialogue avec les associations de maîtres d’ouvrage, avec les organisations professionnelles de la maîtrise d’oeuvre, appuyer le renforcement de l’assistance à maîtrise d’ouvrage, ‐ dans le cadre notamment de la mise en oeuvre de la réforme territoriale ‐, promouvoir la conception‐construction… Ces premières pistes seront présentées dans le cadre de l’Assemblée Générale de la FNTP le 29 mars prochain.
Nos objectifs sont clairs : tirer vers le haut la commande publique pour mieux valoriser la composante technique des offres des entreprises, pour faire reconnaître dans les prix la valeur ajoutée, environnementale, sociale. En un mot pour redonner du sens à un marché qui a perdu ses repères, où la qualité, la durabilité des ouvrages, la sécurité des chantiers pourraient devenir des variables d’ajustement.
Deuxième axe de réflexion : comment « sanctuariser l’investissement » dans les budgets publics.
Pour préserver et fortifier la volonté d’investir chez les clients publics des entreprises de TP, dans un contexte de resserrement budgétaire et de montée des dépenses sociales, le thème des infrastructures doit être présent dans le débat public.
Pour plaider efficacement la cause de l’investissement public, la FNTP souhaite consolider et élargir ses alliances : avec les acteurs économiques (Medef, CCI, CESER …), sociaux (syndicats de salariés), associatifs (usagers de la route, des transports en commun …) et pourquoi pas avec les associations environnementales qui partagent certaines de nos préoccupations, notamment sur les défaillances de l’entretien des infrastructures existantes (cf. la position de France Nature Environnement en faveur du renforcement de « la robustesse et de la fiabilité des dessertes routières existantes » dans son avis sur le SNIT).

Le rôle de la Fédération sera d’exercer un devoir de vigilance et d’alerte auprès de l’opinion publique en alimentant les différents acteurs du débat public avec des données précises sur l’état des infrastructures, sur le déficit d’entretien des réseaux – routes, canalisations, voies ferrées, ouvrages d’art, digues …
Enfin, la FNTP a à imaginer des solutions pour que l’ensemble du tissu d’entreprises puisse trouver sa place dans les nouvelles formes de marchés de travaux publics et participer notamment au développement des contrats de partenariat. Il est de l’intérêt général de la profession d’apporter des réponses adaptées ‐ cotraitance, mutualisation, clauses réservataires, charte de sous‐traitance …‐ et d’assurer un véritable suivi de leur mise en oeuvre.

Publié le 26 mars 2011, dans Actualités, et tagué , , , . Bookmarquez ce permalien. Poster un commentaire.

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